L’échappée belle, c’est un trail de 149 km qui vous propose la traversée du massif de Belledonne dans les Alpes françaises. Je vous propose ici de vivre cette aventure grâce à un ami de longue date, Vincent.

Voici son récit

Les préparatifs

Vendredi 3h du matin : Le réveil n’a pas besoin de sonner.

L’esprit et le corps sont bien trop excités et impatients.

Impatients de démarrer l’aventure.

Impatients de découvrir des panoramas à couper le souffle.

Impatients de manger du D+ à toutes les sauces et du D- à toutes les épices.

Après un bon petit déjeuner concocté par Mathilde – fruits, graine de chia, boulghour et fromage – je me dirige en voiture à quelques kilomètres de là vers le camping où séjournent mes compagnons d’échappée. Nous embarquons Manu, François, Nico et moi pour nous rendre vers le lieu de départ situé à une heure de route en voiture. Ludo est notre chauffeur du jour. Il nous épaulera d’un point de vue logistique et support moral tout au long de la course.

Les sangliers – du nom de notre groupe d’amis avec lesquels nous partageons notre passion commune pour le trail– sont empaquetés dans la voiture. Trois d’entre nous (François, Manu et moi) prendrons part à la version intégrale (149 km et 11.300 D+), Nico quant à lui, démarrera le lendemain pour la traversée nord (85 km et 6140 de D+). Il a tenu à venir nous encourager au départ et à différents points de passage lors de notre début de course. C’est ça la mentalité sangliers, partager des moments forts de sport et de convivialité. Le trajet passe vite. Certains en profitent pour finir leur nuit, d’autres papotes. L’ambiance est calme et sereine. Nous sommes tous déjà un peu dans notre course, impatient d’en découdre avec mère nature.

Un temps de chien…

5h : Nous arrivons sur le site de départ. Nous avons une demi-heure d’avance. A peine sortis de la voiture, il tombe des cordes. Il drache comme on dit chez nous. La pluie n’a jamais été quelque chose de trop embêtant une fois en mouvement mais avant le départ, c’est pour le moins désagréable. Les ponchos, pour ceux qui en ont, sont de sortie. Il faut absolument préserver le contenu de notre sac et nous-même de l’humidité transperçante. La pluie abondante sera d’ailleurs un paramètre avec lequel il faudra composer. Les pierres et les roches qui constituent la grande majorité du parcours seront glissantes. Avec la pluie, ce n’est plus « juste » du trail qui nous attend, c’est un jeu d’équilibriste où poser ses pieds sur des éléments sans cesse instables devient l’objet premier de notre attention.

Mais cela fait partie du jeu.

L’avantage, c’est que nous ne devrions pas souffrir de la chaleur. Autre élément qui peut également modifier largement le déroulé d’une course de montagne. Quoiqu’il en soit, on fera avec le temps qu’on a. Nous n’avons aucune influence sur cette variable. Par contre, gérer son alimentation, gérer sa fatigue et gérer son mental, c’est notre boulot durant les deux prochains jours…. Quoi de plus simple finalement… en théorie en tout cas 😉

Le départ

5h30 : 3, 2, 1, partez ! Ça y est, le moment tant attendu est arrivé. Après le tumulte d’avant départ et le briefing des organisateurs, on n’entend plus un bruit. Exceptés peut-être les quelques courageux supporters qui sont venus dès l’aube encourager les coureurs. « Bonne course », « Courage », « Bonne chance » nous lancent-ils au gré de notre passage. Cela fait du bien. Et de la chance, il nous en faudra tout au long du parcours. On peut être très bien préparé, il faut toujours compter sur un brin de chance pour éviter tous les pièges qui se dresseront devant nous. Le mental et l’attention se chargeront de diminuer au maximum ce facteur chance pour ne compter que sur nous-mêmes et notre attention. Nos jambes se mettent en rythme. Les premiers kilomètres sont toujours particuliers car, vu la distance à parcourir, ils ne représentent pas grand-chose dans le décompte final.

Manu – qui a pas mal d’expérience sur ce type de profil – me rappellera souvent durant notre ballade : « Ne regarde pas ta montre ; on est parti pour longtemps, les km n’ont pas d’importance, c’est le dénivelé qui compte » Et cela tombe plutôt bien car la configuration de ma montre que j’avais effectuée la veille foire complètement. Seule l’altitude plus ou moins instantanée fonctionne ainsi que le temps bien sûr. Le reste, nada. Mais en fait c’est tout ce qu’il faut, ni plus ni moins. Et puis de toute manière je devrai m’en contenter. Après quelques dizaines de minutes, l’excitation du départ fait rapidement place à la concentration. Il faut dire qu’en ce début de course, on n’y voit rien. Il pleut, il y a du brouillard et on est en pleine forêt. Malgré tout cela, notre motivation est à 200%. Il faudra la maintenir comme telle jusqu’à la fin.

Le temps passe vite

8h34 : Cela fait maintenant 3 heures que nous sommes partis. Le temps est passé vite et c’est plutôt bon signe. La question du moment est la gestion des couches. C’est-à-dire : comment se maintenir au sec dedans. Le premier ravitaillement est donc l’occasion de bien vérifier que le t-shirt de rechange est bien protégé ainsi que les chaussettes. Nous sommes aussi contents de revoir déjà nos compagnons de route du matin, Ludo et Nico.

Ils sont aux petits oignons avec nous. Que du bonheur. Mathilde et les enfants ne sont pas là car nous sommes un peu en avance par rapport aux prévisions données par Livetrail. J’ai bien une balise GPS supposée renseigner ma position en temps réel – toutes les 3 minutes en tout cas– mais elle ne fonctionne pas.

l'échapée belle

Peu importe, ils seront là plus tard. Ce n’est que le début. Nous avons parcouru 17km et 1537m de D+. Sur la table de ravitaillement, nous remarquons un dossard !? Bizarre. Oubli ou abandon ? Même si le temps final n’a que peu d’importance à notre niveau, le fait de ne pas être classé pour une question de puce ou de dossard serait quelque chose de très difficile à digérer. Espérons qu’il n’en sera rien pour le malheureux distrait.

Les cols s’enchainent

Nous repartons en direction du col de l’Infernet pour poursuivre vers celui de la Botte. Le D+ s’accumule mais la pente est relativement modérée. Nous procédons par contre à travers une purée de pois à couper au couteau. Au sommet du col de la Botte, nous entendons au loin quelques voix qui s’élèvent. Celles-ci nous semblent familières.

Le vent souffle d’un coup et nous apercevons un magnifique drapeau noir jaune rouge, avec comme porteurs, la famille Huet au grand complet ainsi que la mienne. Ça fait super chaud au cœur. Ils nous encouragent comme jamais tout en évitant de se faire balayer par le vent. Vanille, avec son poids plume, vacille comme un roseau. Ils nous accompagnent pour terminer le col. A peine le temps de quelques bisous et nous continuons notre petite balade à travers la montagne. Nous nous dirigeons vers le refuge de la Pra.

C’est maintenant que la difficulté va augmenter sensiblement. La roche se fait de plus en plus présente et la pluie ne cesse pas. Heureusement, tant que nous sommes en mouvement, nous n’avons aucune sensation de froid.

Refuge de la Pra

11h13 : Nous voici au refuge de la Pra. Le vent souffle encore énormément au point de contraindre les bénévoles à tenir les tentes – les barnums comme ils disent – pour ne pas qu’elles s’envolent. Ils sont extraordinaires les bénévoles sur cette belle échappée. Dès que nous arrivons à un ravitaillement, ils sont aux petits soins pour nous. Ils nous remplissent nos flasques si nous le désirons, ils nous proposent à manger… Les bénévoles sont tops sur toutes les courses mais sur le massif de Belledonne, c’est encore une autre dimension. La réputation qui les précèdent n’est pas du tout usurpée. C’est un des meilleurs souvenirs que je garderai tout au long de cette petite épopée. Merci mille fois à chacun d’entre eux. Boissons chaudes, saucissons et fromage. Tout se passe et « passe » très bien. C’est bon signe. Le temps d’une pause technique – il y en aura plusieurs 😉 – et de remettre une couche chaude et c’est reparti. Au moment de démarrer, je cherche Manu. Je ne le trouve nulle part. Est-il déjà parti ? M’attend-il quelque part à l’abri ? Il faut dire que le temps ne prête pas à la rêverie. Après quelques minutes, je décide de redémarrer non sans un petit pincement car le fait de faire course à deux est un adjuvent indéniable. Il est encore très tôt dans la course et je m’étais fixé comme objectif d’aller le plus loin possible en sa compagnie. Tant pis, nous verrons plus tard.

Avant de redémarrer, une première nouvelle tombe du côté des organisateurs. Nous ne passerons pas par la croix de Belledonne vu les conditions météo. Le sentiment que j’ai balance entre déception – c’est avant tout pour la grimpette qu’on vient en montagne – et soulagement. Heureusement nous ne raboterons que peu dans le parcours et le dénivelé + n’en sera pas trop affecté. Nous n’aurons pas la vue en haut du sommet par contre. Mais dans ces conditions, nous n’aurions ne toute manière rien vu ! Quelques kilomètres plus loin nous arrivons au Refuge Jean Collet. Il y a du monde au portillon. Le refuge est assez étriqué. Nous faisons la file pour rentrer. Heureusement cela ne dure pas longtemps. Une fois passé le pas de la porte, une voix m’appelle. C’est Justine, la sœur de Cindy. Cindy – marraine de Valentin – est elle aussi présente avec Suzy et Charlie. Elles sont là dans l’attente de leur compagnon Steve et Xavier. Pas facile d’accéder à ce refuge mais elles en ont vu d’autres. Cindy et les ultras, c’est du terrain connu. Quelques minutes après mon arrivée, c’est Xavier qui fait son apparition et puis revoilà Manu ! Xavier est parti dans la 3e vague, soit 30 minutes derrière nous. Autant dire qu’il a un super rythme ! Ça fait plaisir de voir les copains tout en haut de la montagne. Je suis bien content de revoir Manu également. Cela signifie que nous pourrons repartir ensemble pour la suite. Suite qui va d’ailleurs se corser de manière importante. Quelques photos ensemble et quelques échanges sur la première partie de course et tout le monde repart. Nous ne verrons plus Xavier 😉 Il est en pleine forme et nous ne pourrons suivre son allure. Nous reprenons notre périple. Il est un peu moins de 14h, cela fait 8h30 de course depuis le départ.

échapée belle 2022

Le ravitaillement suivant se situe à Habert d’Aiguebelle qui, contrairement à son nom, ne nous indique pas que nous sommes proches de l’arrivée à Aiguebelle même si cela m’y fait penser. Nous ne sommes même pas encore au tiers de la course… Le terrain est de plus en plus accidenté. Les sentiers ne sont pas des sentiers mais des blocs de pierres posés les uns sur les autres à la manière d’un tetris complétement désordonné. C’est le chaos. Des pierriers, des pierriers et encore des pierriers. Un enfer pour les chevilles, un bonheur pour les chamois que nous ne sommes pas 😉. Néanmoins, nous arrivons à trouver une forme de plaisir. Globalement l’esprit humain est ainsi fait qu’il anticipe inconsciemment chaque pas posé sur le sol quel que soit le revêtement. Et donc avec de l’attention, les pieds vont se poser, comme par magie, presqu’à chaque fois au bon endroit. La surprise c’est quand le sol se dérobe sous notre passage. Et là ce sont les réflexes qui rentrent en action. C’est là tout le plaisir de ce type de tracé. C’est un jeu. Ceci étant cela demande beaucoup plus d’énergie et donc la fatigue s’en fait ressentir plus rapidement. Nos mines commencent d’ailleurs à être marquées. Cette étape est la première qui commencent à se ressentir dans les jambes.

Refuge d’Habert d’Aiguebelle

17h29 : Après une descente cassante de 400 m de D+ à travers roches et torrents, je suis content de voir les tonnelles du refuge d’Habert d’Aiguebelle. Séverine et ses enfants sont là. Pour la première fois, je mentionne à Manu que je commence à fatiguer mais le moral est toujours au top. Pour nous rebooster, nous commandons une petite tarte artisanale aux myrtilles sauvages. Miam miam. Elle nous fait un bien fou. Chaque petit moment de réconfort est un booster important. Nous nous asseyons quelques minutes. Cela fait du bien de poser aussi son sac car même si les ravitos nous permettent de ne pas devoir emporter trop de nourriture, nous sommes obligés d’emmener avec nous tout un petit paquetage tel que précisé dans le règlement :

  • Récipient pour manger et boire
  • Bande élastique
  • Sifflet
  • Couverture de survie
  • Veste imperméable
  • Pantalon ou collant
  • Polaire manche longue
  • Sous-couche technique
  • Gants
  • Bonnet ou buff
  • Lampe frontale avec batterie de rechange
  • Réserve alimentaire min
  • Poche imperméable
  • Réserve d’eau (1.5l min)
  • Un téléphone
  • Et finalement un sac poubelle pour remporter tous nos déchets le cas échéant.

Autant dire qu’on essaie de trouver les éléments les moins encombrants et les plus légers. D’autant que vu les conditions météo, nous avons déjà utilisé la plupart des éléments emportés.

C’est le moment de repartir. La fin de la première journée approche à grands pas et nous voulons avancer encore un maximum avant que l’obscurité n’arrive. Au programme, col de l’Aigleton (538 m D +) puis une légère descente et ensuite le col de la vache en passant d’abord par son « sous-col » (460 m D+). S’en suivra une descente que nous qualifierons d’interminable vers la base de vie de Pleynet. La vache comme son nom l’indique est vraiment vache ! On prend la montagne pratiquement de face avec un vent à décorner les bœufs, d’où son nom peut-être 😉 Quand nous grimpons vers le sommet, le vent essaie de nous faire redescendre ! C’est presqu’une bataille. J’évite de trop regarder derrière moi et j’essaie de rester le plus près possible de la paroi rocheuse. Eureka ! Nous y sommes ! Sommet du col. Mais de l’autre côté de la vache, c’est encore plus vache mais en descente… Avec ma grande carcasse, la prise au vent est maximum.

Je pense à ces hommes volants qui font du wingsuit et qui s’élancent depuis le somment des montagnes. Notre pente n’est pas aussi abrupte mais l’idée de voler est agréable…stop aux rêveries ! Il ne faut pas tomber. Ce début de descente est épuisant physiquement et mentalement. Mais une fois la grosse difficulté passée, alors que le soleil se couche – les nuages se sont enfin dispersés – un spectacle grandiose s’offre à nous. Le lac du Cos – il est situé sur l’ancien village de Le Ferrière. Ce lac appartient à un ensemble de sept lacs qui jalonnent la combe des Sept Laux. Cet enchainement d’étendues d’eau est tout simplement Ma-Gni-Fique. Le jeu en valait bien la chandelle. On se croirait en Ecosse ou en Irlande ou peu importe où. C’est juste beau. Sans doute mon coup de cœur panorama de cette échappée. Nous sommes aussi très satisfaits d’avoir une accalmie au niveau des pierres et des rochers. Comme me l’aura répété plusieurs fois Manu : « il s’est gavé le petit poucet sur son chemin ». Je vais lui en donner moi dans cailloux… La beauté du paysage ne sera cependant que de courte durée car il est temps d’allumer nos frontales pour cette longue descente vers le Pleynet. Benoit, un ami sanglier qui a réalisé l’échappée belle deux ans auparavant nous a prévenu. Quand vous entendez, au loin, la musique du ravitaillement, ne pensez pas que vous êtes arrivés. Il reste en fait encore 7 km. On tourne littéralement autour du point de ravitaillement en longeant les courbes de la montagne.

Solidarité entre traileurs

Pendant cette partie, nous échangeons peu Manu et moi. Nous en avons un peu marre. Jusqu’au moment où nous dépassons un camarade de course provenant de Marseille. Le pauvre descend dans le noir complet. Aucune de ses batteries ne fonctionne. Autant dire que dans ces conditions, c’est un véritable enfer, et ce, même si la pente s’est un peu adoucie. Nous lui proposons de lui servir de guide. Un devant lui et un derrière lui. Ça nous ralentit un peu mais qu’importe. Si nous avions été dans sa situation nous aurions apprécié qu’il fasse de même. C’est aussi l’occasion de papoter de choses et d’autres et cela fait passer le temps. Devinez le premier sujet de conversation… Je vous le donne en mille : le foot 😉 Même en pleine montagne, nous devons reparler du foot et de la coupe du Monde. On prend cela avec beaucoup d’humour. On parle de vélo aussi et de nos champions nationaux. Et puis la question récurrente que la plupart des coureurs français que nous avons croisés ou dépassés arrive : Comment faites-vous en tant que belge pour vous entraîner. Je réponds de manière courtoise et diplomate en mentionnant que nous avons aussi de beaux terrains de jeux mais que nous venons régulièrement fouler les sentiers alpestres. Manu de son côté n’y va pas par quatre chemin. Cette question à répétition l’embête 😉.

« Nous avons largement de quoi faire dans notre pays » répond-il inlassablement.

Et il a raison Manu. On prend souvent la Belgique pour un plat pays – sans doute à cause de la chanson – mais en Belgique il y a du D+. Et il y en a même beaucoup ! Certes pas de grandes montées en seul tenant mais le terrain est fort accidenté et les idées de grimpettes sont multiples. Il suffit d’observer le parcours du Ohm trail cette année – championnat de Belgique – c’était 85 km pour un peu moins de 4000 m de D+. Il n’y a vraiment pas de quoi rougir. Et puis quand on voit les résultats des coureurs belges professionnels ou semi-pro, quel niveau ! Il faut bien qu’ils s’entrainent quelque part…. Maintenant, ne nous leurrons pas. Nous sommes bien contents de venir gambader par ici 😉 et certains des meilleurs coureurs nationaux ont même établi leur camp de base dans les Alpes. A quand une première victoire belge sur l’une des courses de montagne les plus prestigieuses. Ceci n’est plus une illusion. Quoiqu’il en soit, en ce qui nous concerne, retour à nos moutons et à notre ballade.

Le Pleynet

23h01 : Nous arrivons à le Pleynet. La fatigue est grande mais comme à chaque fois, le simple fait de revoir les nôtres nous revigore. Mathilde, Vanille et Valentin sont là. Ils ont attendu des heures. Je ne les remercierai jamais assez. Ça me fait tellement plaisir. Et surprise supplémentaire, Grégoire, un collègue de l’International est également là pour m’accueillir ! Il savait que j’aimais le trail et était allé voir dans la liste des participants si je m’étais inscrits. Une fois sur place, il a repéré des têtes de sangliers avec un léger accent belge 😉 Cela ne pouvait être que nos accompagnants 😉 Il a tenu à rester lui aussi pour notre passage. Un grand merci à lui. La base de Pleynet fourmille de partout. C’est la première base de vie, en résumé, c’est l’endroit où nous récupérons nos sacs avec nos affaires de rechange et où nous pouvons nous reposer. Aussi c’est un endroit où malheureusement il y a beaucoup d’abandons. C’est bientôt le milieu de la nuit et pour beaucoup de coureurs, certains corps sont déjà meurtris. Nous ne sommes pourtant qu’à la mi-course.

Comme discuté avec Manu quelques heures auparavant, nous décidons de faire une pause ravito mais pas de faire une sieste à cet endroit. Trop de monde et trop de bruit. Nous nous frayons un passage dans le restaurant qui accueille les coureurs. Une dernière table dans un coin reste disponible. Nous sautons dessus. Tout le monde est à l’étroit. Tout le monde est fatigué, même les accompagnants. Mais une fois de plus Mathilde se coupe en 4 pour moi et pour m’aider à reprendre des forces.

C’est aussi le moment de découvrir les quelques dégâts au niveau des pieds. Ils ont été trempés pendant des heures, la peau s’est détendue et malheureusement c’est le début des cloches – des ampoule comme on dit là-bas. Ce n’est pas une bonne nouvelle. D’habitude je n’ai aucun problème de ce côté-là mais cette fois-ci, cela a un peu morflé. Cloche sous le pied, cloche sous le gros orteil et en dessous de l’ongle, bref, on entendrait presque mon pied sonner.

Mathilde m’aide à tout faire sécher dans la mesure du possible. Les chaussures sont tellement mouillées que je décide d’en changer. Au final je ne pense pas que c’était la meilleure des décisions mais sur le moment même je voulais être au sec. Je chausse donc mes chaussures d’après course avec lesquelles je ne cours jamais…. Et puis, comme d’habitude, on s’alimente, on boit un coup et on se remet en conditions pour partir. Je suis un peu lent à la détente. Manu est déjà prêt. Je sais que les 4, 5 prochaines heures seront difficiles car la fatigue s’est déjà bien installée. Mais qu’importe, on se remotive, on fait des bisous à nos accompagnants et c’est reparti.

A peine démarré, un coureur se met à notre hauteur et nous demande s’il peut nous accompagner. Il n’a pas confiance dans sa lampe frontale. Nous voici donc une nouvelle fois Porteur de Lanternes. Au sens propre car nous n’avons pas la prétention d’œuvrer pour un avenir meilleur 😉 Juste donner un petit coup de pouce. Les traditionnels sujets de conversations reviennent, le foot, le vélo, les entrainements et les traditionnelles réponses reviennent également… Ça finit par nous faire rigoler.

Halte sommeil…

Le ravitaillement suivant se trouve au 80e kilomètre. A ce stade nous venons de dépasser la moitié de du D+ à effectuer ainsi que la moitié de la distance à parcourir. Après une première descente, nous entamons une énorme montée. Je commence à dormir à moitié debout mais curieusement, le rythme ne baisse pas tant que ça. Les pas deviennent machinaux et l’esprit n’est plus très clair. Je n’ai d’ailleurs plus de souvenirs très précis de cette étape si ce n’est Manu qui au passage d’un ruisseau en crue entame un début de glissade vertigineuse. Il faut dire que la montagne sur notre côté gauche est assez abrupte. Heureusement, rien de grave, nous repartons sans bobo vers notre lieu de repos, Gleysin.

5h33 : Dès notre arrivée, je demande à Manu ou plutôt je lui impose d’aller me reposer directement sans se ravitailler. Nous le ferons après car je suis bien entamé j’ai peur que le fait de m’activer au ravito ne me fasse perdre l’envie de dormir. Dormir debout en marchant c’est bien mais dormir quelques instants couché, c’est mieux 😉 Notre sieste se fera sous une tente approximativement chauffée dans laquelle se trouvent une vingtaine de lits. A peine rentré, c’est la file d’attente. Heureusement ça ne dure pas. Manu me propose gentiment d’aller me reposer en premier. Il me demande aussi de le réveiller dès que je serai debout peu importe le temps de sommeil qu’il aura eu. De toute manière, on ne va pas y rester des heures. En fait, le temps maximum autorisé vu l’affluence, c’est 20 minutes 😉 J’arrive à négocier 20 minutes de plus avec la gardienne des lieux. Vu le froid, je me suis couché directement, en gardant toutes mes couches et en enlevant seulement mes chaussures. Erreur, sous la couverture, je transpire à grosses gouttes. Résultat, après mes deux fois 15 minutes de sieste, je me relève en ayant encore plus froid qu’auparavant.

Quoiqu’il en soit, il est temps de se remettre en route. Je réveille Manu, nous nous ravitaillons, et hop, environ une heure après notre arrivée à Gleysin – ce que nous appellerons notre halte sommeil – nous sommes reboostés pour les 70 derniers kilomètres. C’est la première fois que je me reposais sur un trail. Habituellement, je me limite à des courses de 85 ou 90 km, il n’est donc pas nécessaire de dormir mais sur un format plus long et à notre niveau, les quelques minutes de sieste sont capitales et surtout rédemptrices ! C’est vraiment bizarre mais on a l’impression d’avoir bien dormi et d’être reposé. Le corps a des ressources et une capacité incroyable à se régénérer.

L’optimisme est de mise, je commence à envisager de plus en plus la possibilité d’arriver à boucler cet ultra. Manu n’en a pratiquement plus aucun doute mais je me méfie d’un coup dur ou d’une blessure. Le mental est, comme depuis le début, toujours gonflé à bloc. Je n’ai eu jusqu’à présent aucune pensée d’abandon ou sentiment négatif. Au final, je n’en aurai d’ailleurs aucun. Et c’est bien là une des conditions de réussite. Ne jamais penser négativement. Et si ce genre de mauvaise image venait à poindre, tout de suite la chasser de sa tête avec un pensée positive. « Pense à ta famille et à tes enfants » m’avait conseillé Manu et d’un coup le positif est de retour.

Itinéraire bis

Au moment de démarrer, une deuxième info course tombe. Nous suivrons un itinéraire bis sans passer par le sommet du Moretan jugé trop dangereux vu les conditions. Nous sommes un peu perplexes car la météo est nettement plus clémente que la veille mais sans doute que lorsque les premiers coureurs sont passés, ce n’était pas le cas. Du coup, tout le monde a été dévié. Au total avec les deux sommets amputés de leur derniers D+, cela fera approximativement 500 à 700 m de D+ en – ; niveau distance on en fera à peine moins.

De toute manière, nous n’avons aucune influence sur la décision des organisateurs. Et sur le moment même, la fatigue aidant, on ne va pas se mentir que quelques mètres de gagnés par ci par là ne sont pas perçus comme une injustice… Et puis il faut rester humble par rapport à la montagne. C’est juste dommage pour le panorama. Tant pis. Direction Périoule et plutôt Super Collet étant donné la déviation.

Pendant cette étape, nous sommes dépassés par des avions de chasse ! Les premiers coureurs de la traversée nord nous ont littéralement balayé. Leur vitesse est impressionnante dont particulièrement celle du premier qui n’est autre qu’un belge : Jérôme Vanderschaeghe. Très gentiment il accepte de s’arrêter pour qu’on prenne une photo de lui. Il gagnera avec une avance confortable sur le deuxième. Comme quoi, démonstration est faite qu’il n’est pas obligatoire de venir d’un pays de montagne pour exceller dans cette discipline. Même si dans son cas, si je ne me trompe pas, il habite désormais à la montagne 😉 Quoiqu’il en soit, félicitations à sa performance incroyable. Pour nous en tant qu’amateur mais passionnés c’est toujours sympa de croiser les fers de lance de la discipline. C’est la particularité de ce sport. Tout le monde prend part aux mêmes courses. Les stars de la discipline tout comme les amateurs plus ou moins confirmés que nous sommes. C’est le partage commun de la nature, des éléments et des émotions. Bien entendu, certains sont aussi plus sympas que d’autres comme c’est le cas dans tous les sports 😉

C’est aussi pendant cette étape que nous avons aperçu le balai incessant des hélicoptères de sauvetage en montagne. Ils venaient sans doute récupérer les coureurs blessés et qui avaient été mis en sécurité pour la nuit dans l’attente d’être hélitreuillés au petit matin. Nous avons à ce moment-là de la course parcourue presque 100 km et c’est à la suite d’une nouvelle descente interminable que nous arrivons à Super Collet.

Arrivée à Super Collet

11h04 : L’émotion est grande. Je ne peux retenir mes larmes quand je vois Mathilde, Vanille et Valentin. Ils font les derniers mètres de l’étape avec moi. Ils sont en forme. Il fait beau, il y a du monde, de la musique… Bref les sensations sont énormes et le bonheur intense. Le ravitaillement est agréable. Ludo et la famille Huet sont là au grand complet également. François les a rejoint car malgré son abandon, il a tenu à venir nous encourager jusqu’au bout. Chapeau à lui. Je récupère mes chaussures que Mathilde avait pris le soin de faire sécher, je soigne mes pieds et je reprends le strict minimum dans mon sac, histoire d’être un peu plus léger. Manu fait de même.

Le plus dur est derrière nous. Il reste néanmoins une petite cinquantaine de kilomètres encore à parcourir. Après 30 minutes de break, nous repartons de plus belle pour continuer et terminer cette échappée. Nous empruntons une piste de ski et nos accompagnants décident de prendre le télésiège pour venir nous encourager encore une fois au sommet de la piste. Notre allure est régulière. Le sentiment de tout doucement voir le bout du tunnel nous fait oublier la fatigue et la douleur.

échapée belle

Nous nous dirigeons vers Val Pelouse, à 17km de là. 2 grosses montées sont au programme. Avec, au total, presque que 1000 m de D+. S’en suivra une descente assez technique. C’est la dernière fois que nous grimpons au-dessus de 2000 m d’altitude à une petite bosse près. Manu prend un peu d’avance. Il a de bonnes sensations. J’ai aussi de bonnes jambes mais quelques problèmes de transit m’empêchent d’élever la cadence. Cela fait plusieurs heures que je n’arrive plus à m’hydrater correctement. Je me force à boire de l’eau salée ainsi que des boissons isotoniques par toutes petites gorgées mais rien n’y fait. La tuyauterie me joue un mauvais tour. Heureusement je n’ai aucun problème pour m’alimenter et en dehors du désagrément causé, je n’ai aucune baisse de régime ni de force. Pour autant, il faut rester vigilent. Ce serait trop bête d’être blessé à ce moment de la course. Nous restons donc concentrés et nous arrivons en seul morceau à Val Pelouse.

Dernier ravito

17h45 : Avant dernier ravito avant l’arrivée. Nous blaguons avec l’un ou l’autre coureurs. Nous entendons aussi les délires de l’un d’entre eux. « Dans 2h30 nous serons sur la ligne d’arrivée » dit-il. On se regarde Manu et moi et nous esquissons un sourire. 2h30 pour 32 km en montagne avec encore 1100 de D+ -, c’est juste délirant. Enfin, ça nous fait rire et ça décompresse. On mange, on remplit nos flasques ; Bref, le rituel habituel. Les bénévoles sont toujours aussi sympas.

On attaque ensuite la première partie de cette avant dernière étape par une belle montée mais bien plus douce que celles que nous avons dégustées jusque-là. Ensuite c’est de la descente. Une nouvelle descente interminable. Ce n’est pas compliqué, sur ce genre de parcours, soit on monte, soit on descend. Il n’y a pratiquement pas de plat. C’est ce qui explique aussi les moyennes très basses par rapport à d’autres trails de distances équivalentes.

A cela s’ajoute un parcours particulièrement technique. Donc quand on a une portion un peu plus cool, on en profite. Nous papotons avec l’un ou l’autre coureur que nous dépassons, nous pensons à autre chose qu’à nos jambes car la douleur est de plus en plus intense. Chaque pas est une onde de choc dans les cuisses. L’avantage en trail, c’est qu’une douleur en chasse un autre. Je ne ressens même plus les cloches que j’ai aux pieds. Nous sommes de nouveau entrés dans la nuit. Ça devient long, très long.

22h35 : Arrivée à Bourget-en-Huile. Et de l’huile de massage il nous en faudrait ! Une fois encore, nos familles sont là pour nous accueillir. Ludo et François nous apporte de quoi nous sustenter. Mathilde me masse les cuisses. Ça fait mal mais ça fait un bien fou. Ça répare. Les enfants s’affairent à nous apporter tout ce qu’il faut. C’est une vraie course d’équipe en famille.

Dernière étape

Il nous reste une dernière étape de 17 km et c’est enfin l’arrivée tant attendue. Nous sommes très larges sur les barrières horaires. La dernière étape est aussi la moins technique. Rien ne peut donc plus nous arriver. Néanmoins je ne veux toujours pas crier victoire… question de superstition. Nos supporters vont aller se placer sur la ligne d’arrivée et dormir un peu avant notre passage. Ludo et François restent encore à Bourget-en-Huile pour supporter Nico qui en termine avec la traversée nord. Nous repartons d’un pas décidé. Et puis comme par miracle, je ne ressens pratiquement plus aucune douleur.

J’ai même envie d’accélérer. Je le fais par moment d’ailleurs. Dans la dernière montée de 500 m de D+ je rattrape beaucoup de coureurs dont certains de la traversée. Je me sens en pleine forme. Sans doute l’euphorie de l’arrivée qui est imminente même s’il reste encore quelques heures. Manu me rappelle que nous n’avons rien à gagner à aller plus vite mais c’est plus fort que moi. Je retrouve mes vieux démons à vouloir toujours en remettre une couche. Heureusement d’ailleurs qu’ils m’avaient quitté pendant toute la course sans quoi je n’aurai jamais été jusqu’au bout. Patience est mère de sagesse… Le sage Manu m’avait bien briefé sur ce point. Après un dernier mur au sens littéral du terme – on doit se coller au sol pour ne pas basculer en arrière – c’est le début de la dernière descente. 10 km d’enfer ou de bonheur, c’est selon. Pour moi ce n’est que du bonheur. Je me repasse la course en mémoire. J’ai presqu’envie que cela ne s’arrête pas. Je n’ai plus du tout de douleur. Je pourrai courir comme à l’entrainement d’un mardi ou presque.

2h30 : Au bout de cette longue descente, nous arrivons à Aiguebelle. Il est un peu plus de deux heures du matin. Les rues sont calmes mais nous croisons quand même quelques supporters et bénévoles aux différents carrefours. Nous entrons dans la dernière ligne droite. Malgré la fatigue et deux jours épuisants pour eux aussi – plus de 500 km parcouru en voiture pour venir nous voir aux différents points de passage – toute la famille est là, nos enfants nous accompagnent dans les derniers mètres. L’émotion est grande. Même notre nounou de luxe – Ludo – ainsi que François sont là. Nous nous dirigeons tous les deux avec Manu vers la ligne d’arrivée. Mathilde et les enfants sont aux avant-postes. Nous saisissons la coche synonyme de fin de course et nous la secouons avec ferveur. C’est fait. On l’a fait. Notre échappée belle, mon ultra – 149 km et 11.000 m D+

Merci à tous nos supporters, ceux d’ici mais aussi ceux qui nous ont suivi sur Livetrail. Merci pour tous les messages de soutien. Mille mercis à Mathilde et aux enfants de partager cela avec moi. C’est une grande pression pour eux aussi pendant plusieurs jours. Mathilde s’en souviendra d’ailleurs 😉. Mais que de moments de bonheur partagé. Ils ont contribué grandement à la réussite de cette fabuleuse course. Enfin merci à Manu pour m’avoir accompagné dans ce beau défi. Ton expérience fût d’une grande importance pour moi et j’ai pris beaucoup de plaisir à faire cette ballade avec toi.

Last but not least, cet ultra était un but en soi pour moi. Les courses sur plusieurs jours n’étant pas, à priori, ma tasse de thé. Le « problème », c’est que même si sur le moment, on n’en veut plus, quelques minutes après, la magie ou la folie du trail opère et on en veut encore.

On en veut encore plus. On en veut toujours plus…